Barcelone, le 16 mars :

Entre 3 et 400 000 personnes contre « l’Europe du Capital »!

Moment historique ! À Barcelone, le samedi 16 mars 2002, vient de se dérouler la plus grande manifestation jamais organisée contre un Sommet de l’Union Européenne, et peut-être également, la plus grande manifestation jamais organisée contre la globalisation capitaliste, au moins équivalente à celle de Gènes contre le G8. Plus de 200 000 manifestants selon la police espagnole, un demi million selon certains grands médias du pays. Impressionnante par le nombre de ses participants, cette manifestation le fut aussi par ses qualités :

Défilant clairement « contre l’Europe du Capital » à l’appel d’un large collectif d’organisations du mouvement social, les manifestants n’ont pas été rebutés par la franchise de ce mot d’ordre, qui tranche avec les pudeurs, les hésitations, les autocensures dont les mouvements font trop souvent preuve en Europe. C’est la « preuve par Barcelone » : on peut rassembler plusieurs centaines de milliers de personnes tout en disant nettement que la source des injustices et la cible de nos combats n’est pas seulement la politique libérale des gouvernants mais aussi le système capitaliste sur le socle du quel s’épanouit cette politique...

Autre qualité extraordinaire de la manifestation de Barcelone, la jeunesse d’une grande partie de ses participants. La moitié au moins défilaient hors de toute appartenance, d’immense segments de la manifestation étant formés de milliers de jeunes s’avançant sans banderole ni pancarte, sous l’égide d’aucun sigle particulier. Cette capacité de la mobilisation à offrir à une jeunesse révoltée un espace d’expression ouvert, libre, offre un exemple et une expérience à méditer. Il ne s’agit bien sûr pas de rejeter toute forme d’organisation, mais de comprendre comment une telle mobilisation a pu être organisée. Certes il y a des spécificités espagnoles : l’activité d’un gouvernement ultra libéral qui attise les révoltes, une convivialité propre à une jeunesse habituée à se rassembler par milliers dans la rue, les soirs de chaque week-end, la manifestation offrant à ce mode de vie une dimension politique, ou encore la forte tradition libertaire qui imprègne les mouvements sociaux hispaniques. Mais il faut aussi saisir comment les organisations existantes, le Mouvement de la Résistance Globale (MRG) ou la CGT (confédération syndicale anarcho-syndicaliste), et bien d’autres, ont su s’immerger dans une pratique assembléiste qui a marqué la préparation du Contre-sommet de Barcelone. En effet ce ne sont pas des réunions unitaires « classiques » qui ont préparé celui-ci mais des assemblées ouvertes rassemblant parfois plusieurs centaines de participants. Cette démarche qui part de la base, innovante, alternative, n’est pas étrangère au succès final. Quelques jours plus tôt (le jeudi) près de 100 000 personnes s’étaient rassemblées à l’appel de la Confédération européenne des syndicats. « Seulement » 100 000 serait-on tentés de dire, après la démonstration du Samedi. Il est vrai que les orientations diverses des organisations syndicales espagnoles expliquent aussi ce contraste. Les deux centrales majoritaires, les Commissions ouvrières (naguère contrôlées par le Parti Communiste) et l’UGT (socialiste) ont une démarche d’accords et de conciliation avec le gouvernement Aznar, approuvant des mesures qui encouragent la précarité. Seule la CGT espagnole a participé activement à la préparation du Contre-Sommet. Et c’est seulement en dernière minute que les organisations modérées, CCOO, UGT, Forum social, ont timidement demandé à pouvoir rejoindre la manifestation « Contre l’Europe du Capital »... Autre qualité de la démonstration de Barcelone : elle a su déjouer le piège grossier tendu par le gouvernement Aznar, celui de la confrontation directe sur le terrain « militaire ». Tout avait pourtant été mis en scène, le gouvernement demandant même à l’OTAN de lui prêter des avions de reconnaissance « Awacs » pour s’affronter aux hordes barbares des antiglobalisations. Or le collectif organisateur a choisit de s’affronter avec les chefs d’État sur un tout autre terrain, celui de l’affirmation d’une Alternative. Ignorant superbement le lieu du Sommet, mettant l’accent sur la radicalité de l’expression politique, créant, l’espace de quelques heures, une contre-société festive, joyeuse, multiple et tolérante, la manifestation de Barcelone marque aussi une nouvelle étape, un rebond dans la mobilisation contre la globalisation capitaliste. Il y a eu, certes, quelques actions plus physiques, mais elles se sont limitées, pour l’essentiel, aux bris de vitrines de banques... Ce qui n’a pas empêché une police armée jusqu’aux dents de provoquer de brefs mais violents affrontements...

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La nature, belliqueuse sur le fond mais pacifique quant aux formes d’action, de cette marche barcelonaise souligne encore l’aspect inadmissible, injustifiable, du blocage de milliers de manifestants au col du Perthus, blocage coorganisé par les gouvernements espagnols et français. Il y a là une atteinte brutale aux Droits, à la liberté d’expression, de manifestation, de circulation. Et que dire de ses socialistes et de ce gouvernement français de la Gauche plurielle, qui, après avoir paradé au Forum social de Porto Alegre, lance ses policiers contre les manifestants des mouvements sociaux à la frontière pyrénéenne ? Il est vrai que, dans le même temps, Jospin et Chirac, ensemble quand il faut gérer au sommet de l’État, séparés seulement quand il s’agit de promettre au cours des campagnes électorales, ont accepté à Barcelone la libéralisation d’une large partie de l’énergie, et d’autres mesures antisociales, dont certaines menacent directement les retraites.

Le succès de Barcelone est bien sûr un formidable encouragement pour la prochaine échéance, celle de Séville, en juin prochain, à l’occasion du second (et théoriquement de plus important) Sommet européen en Espagne. La mobilisation catalane ne devait être qu’un « galop d’essai » ! Excellente nouvelle, dans la préparation de ce second contre-sommet : le projet d’une « Marche internationale des résistances sociales », dont le coup d’envoi avait été donné symboliquement à Bruxelles en décembre dernier, est en très bonne voie. La concrétisation de ce projet était le point principal mis à l’ordre du jour d’une Coordination du réseau des « Marches européennes contre le chômage et la précarité » qui a réunit à Barcelone, dans les locaux de la CGT, des délégations italienne, française, allemande, finlandaise, espagnole. Une délégation andalouse (association « Baladre », CGT espagnole) a présenté l’état d’avancement de ce projet, maintenant pris en charge par une Assemblée des mouvements sociaux de la région. Partant d’Almeria, les Marcheurs vont sillonner l’Andalousie durant une semaine, pour rejoindre Séville et sa grande manifestation, le 22 ou le 23 juin. Cette marche devrait être rejointe par une autre marche marocaine, partie de Rabat, et organisée par le « Mouvement des chômeurs diplômés », l’un des principaux mouvements sociaux marocains, déjà actif lors des marches « européennes » de 1997, et qui depuis entretient des échanges réguliers avec la CGT espagnole.

Après Barcelone, les mouvements sociaux vont donc trouver à Séville une nouvelle occasion pour faire avancer les alternatives dont elles sont porteuses.

Patrice Spadoni

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