La Déclaration de Laeken :
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Un défi non démocratique
1. La répartition des compétences
[1] Journal Le Soir du 23 décembre 2001
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La Déclaration de Laeken pose des questions « ciblées », en faveur des classes dirigeantes et des groupes capitalistesLa lecture en diagonale de la Déclaration de Laeken peut générer quelques eurobéatitudes. Les grands titres se veulent accrocheurs et rassurants : L'EUROPE A UN CARREFOUR -, Les attentes du citoyen européen - LES DÉFIS ET LES REFORMES DANS UNE EUROPE RENOUVELÉE - Une meilleure répartition et définition des compétences dans l'Union européenne - La simplification des instruments de l'Union, Davantage de démocratie, de transparence et d'efficacité dans l'Union européenne - La voie vers une Constitution pour les citoyens européens - LA CONVOCATION D'UNE CONVENTION SUR L'AVENIR DE L'EUROPE. La méthode propose un débat ouvert : « Pour assurer une préparation aussi large et aussi transparente que possible de la prochaine Conférence Intergouvernementale, le Conseil européen a décidé de convoquer une Convention rassemblant les principales parties prenantes au débat sur l'avenir de l'Union. Cette Convention aura pour tâche d'examiner les questions essentielles que soulève le développement futur de l'Union et de rechercher les différentes réponses possibles »... « Pour trouver les réponses, il faut poser une série de questions ciblées ». Et c'est là que le bât blesse, dans le ciblage des questions…qui prétendent répondre aux attentes des citoyens. Les revendications des mouvements sociaux européens ont été ignorésLa Déclaration de Laeken confirme les choix de la politique économique et sociale de l'Union européenne en faveur des intérêts des classes dirigeantes et des groupes capitalistes, et contre ceux de l'immense majorité de la population, à commencer par les salariés et les sans emploi. C'est une orientation néo-libérale que nous refusons. Elle s'exprime notamment par une politique de workfare, de démantèlement des acquis sociaux, de privatisation des services publics, de répression des mouvements sociaux, d'atteintes aux droits d'expression et de libre circulation, d'encouragement aux emplois précaires. [3] |
[3] Déclaration de Bruxelles des Marches européennes contre le chômage, la précarité et les exclusions pour l'unité dans l'action des mouvements sociaux européens. | |||
La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est une fois de plus mise en veilleuse, mais aucune question n'est posée sur l'avenir des droits sociaux inscrits dans les législations nationales et non garantis au niveau européen. Il est pourtant bien là, NOTRE AVENIR !Les conclusions du Sommet de Nice définissant le mandat de la Déclaration de Laeken prévoyaient que le statut de la Charte des droits fondamentaux y serait fixé. A Nice, nous avons dénoncé le fait que la « Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne » n'est que le catalogue de ce que la première Convention a bien voulu garder des droits existants. Elle n'offre aucune avancée sensible, et elle est en recul par rapport aux droits dans de nombreux pays. Ainsi, la Charte exclut les droits à prestation (retraites; chômage; revenus minimum). Si cette Charte était adoptée dans son état actuel, si elle prenait force de loi, par un moyen ou par un autre, elle deviendrait un point d'appui pour de nouveaux reculs sociaux, et sonnerait le signal d'un grand nivellement par le bas. Dans l'appel à la manifestation du 13 décembre 2001, la Confédération Européenne des Syndicats a demandé clairement (enfin !) que la Charte soit amendée et que les droits sociaux existants y soient intégrés. Dans la Déclaration de Laeken, le Sommet européen semble avoir pris, avec la Charte, quelques distances en lui accordant une unique phrase. « Il faut ensuite se demander si la Charte des droits fondamentaux doit être intégrée dans le Traité de base et se poser la question de l'adhésion de la Communauté européenne à la Convention européenne des droits de l'homme ». La colère de la rue y est probablement pour quelque chose. Mais rien n'est gagné. La tactique peut être de la mettre au congélateur et la ressortir au moment opportun. Continuons à alerter sur les dangers qui menacent les droits aux revenus de remplacement (dits à prestation). L'avenir des droits sociaux reste lié à toutes les réponses qui seront apportées aux questions posées dans la Déclaration de Laeken, et notamment :
Nous ne laisserons pas ces questions - aussi ardues soient-elles - dans le seul pouvoir des dirigeants. Nous voulons une autre Union Européenne, démocratique et sociale. Pour l'atteindre, il est nécessaire de contrer les basses manœuvres autour d'un simulacre de démocratie. 1- La répartition des compétences entre l'Union, les Etats et les RégionsNous connaissons bien ce débat dans plusieurs pays de l'Union européenne, lorsque la redistribution des allocations sociales sont à la charge des Régions au nom de la subsidiarité. Des distorsions et des inégalités apparaissent entre Régions, selon les décisions des majorités politiques.
L'Assemblée européenne des chômeuses, chômeurs et précaires a déterminé une revendication européenne pour un revenu d'existence en dessous duquel il est inacceptable de descendre. Imposons ce débat qui est directement lié à l'instauration d'un droit social européen et à cette série de questions sur la répartition des compétences. Interpellons aussi les syndicats nationaux - comme cela a aussi été décidé lors de l'Assemblée des 11,12 et 13 décembre 2001, qui s'est tenue à Bruxelles - pour inciter ce débat en leur sein. Ce ne sera pas chose facile, car l'harmonisation du droit du travail et des systèmes de protection sociale est un sujet sensible…qui ne fait pas l'unanimité au sein de la Confédération Européenne des Syndicats. Les efforts des syndicalistes qui voulaient aboutir à des revendications européennes sur ces points et notamment sur le salaire minimum - ont été bloqués à plusieurs reprises par des syndicats nationaux des travailleurs qui pensaient pouvoir tout préserver et négocier au niveau national. .[4] Les syndicats ne peuvent plus ignorer la force du Pacte de stabilité et l'autonomie des Ministres ECOFIN vis à vis de leurs gouvernements. Au fil des années et des Grandes Orientations des Politiques Economiques dictées par ECOFIN, l'escalade des réformes de régression sociale est probante dans tous les Etats de l'Union européenne. La voie est ouverte au dumping social dans la zone euro. Si l'ajustement ne peut plus s'effectuer par la monnaie, il va s'opérer par le coût du travail. En l'absence de politique sociale et de politique contre le chômage, les salariés risquent de payer cher l'unification monétaire, comme le démontre Yves Salesse dans « L'Europe que nous voulons ».[5] La Confédération Européenne des Syndicats doit sortir de l'agenda qui lui est imposé par la Commission européenne - dans le cadre (rigide) du dialogue social - pour mobiliser les syndicats nationaux sur la définition d'une revendication européenne pour les trois seuils en dessous desquels il est inacceptable de descendre : revenu d'existence, salaire minimum et minimum de pension. La place d'observateur qu'elle a obtenue dans la convention doit être utilisée pour rappeler qu'une constitution européenne ne peut se concevoir sans un engagement de redistribution des richesses. |
[4] Georges Debunne. Les syndicats et l'Europe. Editions Labor
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La dernière question du chapitre sur la répartition des compétences appelle tout particulièrement notre vigilance. Après s'être demandé s'il ne serait pas souhaitable de laisser la gestion quotidienne aux Etats et aux régions, la Déclaration postule « qu'à l'avenir aussi l'Union soit en mesure de réagir à de nouveaux défis ou développements et de sonder de nouveaux domaines d'action. A cette fin, faut-il revoir les articles 95 et 308 du traité, à la lumière de l'acquis jurisprudentiel ? » Que visent ces articles ?
L'article 308 (ex article 235) permettrait effectivement à l'Union de réagir à de nouveaux défis ou développements et de sonder de nouveaux domaines d'action. Il stipule :
Notre intérêt (de citoyen(ne)) sera de suivre de très près les recommandations qui seront faites par la Convention sur cet article. On nous dira probablement que tout cela est de la cuisine institutionnelle, qu'il s'agit tout simplement d'insérer ce qui aura été décidé par ailleurs, comme, par exemple, de se doter de la possibilité d'utiliser cet article pour les 2°(Justice et affaires intérieures) et 3° pilier (Politique étrangère et de sécurité commune), d'y intégrer les décisions qui pourraient être prises en matière institutionnelle (les pouvoirs du Conseil, de la Commission et du Parlement européen, voire des parlements nationaux), de faire sauter l'unanimité qui est un risque de blocage dans le contexte à venir de 25 à 30 Etats. Nous répondrons alors qu'il y a urgence absolue de faire reconnaître les libertés (notamment les libertés d'expression) et les droits sociaux comme objets (objectifs) de l'Union européenne pour éviter que cet article donne une liberté excessive de légiférer pour les seuls objectifs de la compétitivité, voire de la répression. (Il est encore fécond le ventre d'où surgit la bête immonde comme disait Brecht !). L'article 95 concerne le rapprochement des législations « qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur. » Il autorise la Commission ou un autre Etat membre à saisir la Cour de Justice si un autre Etat membre déroge aux mesures d'harmonisation « après avoir vérifié si elles sont ou non un moyen de discrimination arbitraire ou une restriction déguisée dans le commerce entre Etats membres et si elles constituent ou non une entrave au fonctionnement du marché intérieur. » Le paragraphe 2 précise que cela ne s'applique pas
Le paragraphe 5 précise qu'
Le danger serait que cet article soit révisé en faisant sauter ce qui dérange les intérêts des classes dirigeantes et des groupes capitalistes, soit les paragraphes 2 et 5 précités. La liberté de circulation des personnes et les droits et intérêts des travailleurs salariés pourraient alors être soumis à harmonisation dans le seul intérêt du bon fonctionnement du marché intérieur et du commerce. Les GOPE d'ECOFIN sur la libéralisation des services publics et la réduction des droits à prestation pourraient devenir lourdement contraignantes. Les gouvernements n'auraient d'autres choix que d'appliquer sous peine d'amende, SI « la convergence vers le haut des conditions de vie et de travail dans l'Union européenne » n'est pas inscrite comme un principe de base dans la Constitution européenne. Ce que nous revendiquons. 2 - La rédaction et l'adoption d'une constitution européenneLa Déclaration de Laeken annonce « la voie vers une constitution pour les citoyens européens ». Aucune référence n'est faite aux constitutions nationales. Prenons garde à vérifier si nous donnons le même sens que les eurotechnocrates au concept « Constitution ». Le ciblage des questions n'annonce guère une voie radieuse mais plutôt une souricière. On y retrouve les orientations du rapport du « Comité des Sages » présidé par Dehaene à la demande de Romano Prodi. Il s'agit avant tout de se dégager de la lourdeur des Traités « sans en changer le contenu » (sauf pour les articles 95 et 308 qui peuvent être lourds de conséquences). L'objectif est de ne pas avoir à faire réviser et ratifier tout le traité par vingt cinq à trente Etats à chaque fois que l'on aurait à changer les politiques communes qui figureraient dans un texte séparé facilement modifiable. On a beaucoup gloser - à juste titre - sur la nomination de Giscard D'Estaing comme Président. On a peu parlé de Jean-Luc Dehaene qui n'en est pas moins redoutable. Ses positions ont été fatales pour les droits sociaux lors de la première Convention lorsqu'il rappelait avec cynisme qu'on ne pouvait se dégager du « mandat de Cologne » qui précise « le Traité, rien que le Traité », et comme chacun le sait, le Traité ne se mêle pas des droits à prestation, considérés d'ailleurs comme des entraves à la liberté du marché. Le ciblage des questions posées à la Convention et leur concordance avec le Rapport Dehaene nous porte à redouter que la phase de la Convention n'ait comme seul objectif que de légitimer des options pré-établies. Le projet de Constitution serait alors le vecteur d'une plus grande libéralisation qui transformerait la fonction redistributrice des richesses des politiques publiques en une fonction régulatrice dans l'intérêt des marchés. Ne laissons pas ce Présidium travailler à son aise. Etant donné le nombre de participants à la Convention, les problèmes linguistiques, la rhétorique de l'urgence et l'exigence du consensus, la solution de « facilité » sera de suivre strictement les questions posées et d'éviter les débats de fond sur les principes, les valeurs et les droits. Il y a fort à penser qu'il sera décidé de s'en tenir à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui a été enfanté par la première Convention. Et le (mauvais) tour sera joué. Nous devons intervenir pour dire notre colère sur la régression sociale annoncée par cette Charte auprès des membres de la Convention et de leurs instances. Leur rappeler que nous ne voulons pas qu'elle soit officialisée comme préambule de la Constitution européenne. Nous voulons une vraie Constitution, un cadre humaniste et protecteur qui garantit la redistribution des richesses et la lutte contre la pauvreté. | ||||
3- Le mode de décision et de votation du Conseil européen et des Conseils des Ministres (majorité qualifiée ou maintien du droit de veto)Le 19 décembre 2001, d'anciens Chefs d'Etat et de gouvernement [6] ont lancé un appel après la publication de la Déclaration de Laeken. « Il est nécessaire et urgent d'établir le principe du vote à la majorité comme le gardien des institutions et comme condition d'une capacité effective de décider et d'agir. Rien que cela, mais rien de moins que cela, est nécessaire pour permettre à l'Union de franchir le seuil de l'irréversible.(...) La Convention constitue le forum de nature à atteindre ce but.(...) Nous, qui avons exercé à plusieurs reprises les responsabilités du pouvoir, étions bien conscients que l'œuvre restait inachevée.
Les mêmes auraient pu organiser un front de résistance lorsqu'ils étaient « aux affaires », et rejeter, à l'époque de la création du Marché unique puis de la Monnaie unique, la tactique de Margaret Thatcher qui consistait à inscrire dans le Traité les modes de décisions selon les domaines : la majorité qualifiée pour répondre rapidement aux exigences des classes dirigeantes et des groupes capitalistes, l'unanimité pour les domaines fiscal, environnemental et social, permettant à un seul pays de tout bloquer par un veto. La généralisation de la majorité qualifiée était un des objectifs du traité de Nice. Le résultat fut lamentable, convenait-on. (Mais pour qui ? N'a-t-il pas été ratifié dans l'urgence par les parlements nationaux ? Sauf en Irlande où il y a eu référendum et où les citoyen(ne)s ont pu donner leur avis.) Au travers des questions posées à la Convention transparaît le lien entre la répartition des compétences et les modes de votation au Conseil européen et aux Conseils des Ministres. Le système de l'unanimité à 25 ou 30 pays est intenable. Il faut en sortir. Mais comment garder le cap libéral ? Ainsi, avant de généraliser la majorité qualifiée, l'Union européenne se débarrasserait de la « gestion quotidienne » (la redistribution des richesses définies par le droit social) pour ne plus s'occuper que du Marché, la Monnaie, la coopération policière et la Défense. Un Super-Etat de contrainte. C'est une perspective glaciale comme l'eau des auto-pompes un soir de décembre. 4- La place du Parlement européen et des parlements nationaux dans le processus de décision européen.« Faut-il renforcer le rôle du Parlement européen ? Faut-il ou non élargir le droit de codécision ? Faut-il revoir le mode d'élection du Parlement européen ? Quel rôle donner aux Parlements nationaux ? » Les Parlementaires nationaux et européens qui vont être nommés membres de la Convention vont être mobilisés sur ces questions ciblées. L'os qui leur ait donné à ronger peut certes apporter quelques vitamines à la démocratie. Et la bataille institutionnelle avec la Commission et le Conseil sera rude. Il est inadmissible que le Parlement européen, élu au suffrage universel ait un pouvoir si limité. Il est aberrant que 80% des lois décidées dans les assemblées nationales soient des transpositions des directives et règlements européens sans que les Parlements nationaux n'aient pu intervenir avant de se les voir imposer. Cependant, l'histoire a montré que si les parlementaires font bloc pour cette bataille institutionnelle, qui est un enjeu important, seule une infime minorité s'exprime pour la défense de nos droits. Nous exigeons aussi des Parlementaires qu'ils se préoccupent de l'avenir du droit social puisque nous les avons élus sur ces promesses. Lors de la première Convention, le comportement de celles et ceux (à quelques exceptions près) dont on attendait une position claire de défense des droits sociaux, a été écoeurant. Elles et ils se sont ralliés à l'idée que « les droits sociaux étaient des promesses qu'on ne pourrait plus tenir à l'avenir », acceptant que les articles de la Charte proposés par le Présidium soient adoptés par consensus, voire admettant publiquement que le consensus exige un nivellement par le bas. La Déclaration de Laeken montre que ses rédacteurs comptent bien sur le consensus pour achever l'œuvre de libéralisation des marchés des biens, des services et des capitaux : « La Convention étudiera les différentes questions. Elle établira un document final qui pourra comprendre soit différentes options, en précisant le soutien qu'elles ont recueilli, soit des recommandations en cas de consensus. » Demandons aux parlementaires qui siègeront dans la Convention, et à leurs institutions nationales de se faire l'écho de nos revendications et de se battre sur les deux terrains, le champ démocratique et le champ social. Il est essentiel que les parlementaires refusent le principe des recommandations qui impliqueraient un nivellement par le bas. Nous attendons d'eux qu'ils aient le courage d'aller jusqu'au bout de leurs options. Assaillons la Convention de revendications pour expurger le poison noyé dans ces questions ! Notre défiance vis à vis de la Déclaration de Laeken n'est pas liée au fait que des questions soient posées et mises en débat, mais plutôt à leur nature et à ce qu'elles laissent percevoir comme intentions. Et tant mieux si l'on nous taxe de procès de mauvaises intentions, cela obligera à nous démontrer le contraire plutôt que de nous mettre in fine devant le fait accompli de la défaite sociale. Les séances seront publiques. Allons-y. La Convention se réunira de mars 2002 à mars 2003.
Les mobilisations vers Nice, Göteborg, Gênes et Laeken ont montré que des européens peuvent sortir de tous les bois pour exiger une Europe démocratique et sociale. Les dirigeants européens ont répondu « Convention » et « Constitution » en jouant sur le vocabulaire révolutionnaire et en nous prenant pour des cons. Prenons-les aux mots, ou plutôt crochons-les aux mollets jusqu'à ce que les solutions concordent avec nos aspirations. |
[6] Les signataires de cet appel intitulé « Europe : renouveau ou naufrage » sont :Giulio Andreotti, Raymond Barre, Carl Bildt, John Bruton, Anibal Cavaco Silva, Jean-Luc Dehaene, Felipe Gonzalez, Roy Jenkins, Helmut Kohl, Michel Rocard, Jacques Santer, Helmut Schmidt, Franz Vranitzky.
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