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Le réseau des Marches européennes (Euromarches) existe depuis une quinzaine d’années. Son but principal était et reste de combattre la montée du chômage de masse et de longue durée en Europe, la précarité et les exclusions qui en résultent. Or aujourd’hui, on constate qu’il n’y a jamais eu autant de chômeurs, de précaires et d’exclus sur le continent européen ! Est-ce à dire que nous avons perdu notre temps dans cette lutte ? Et surtout, que faire encore aujourd’hui contre ce fléau social?

Dans un premier temps, nous rappellerons pourquoi nous avons constitué ce réseau, comment il s’est développé, à quelles difficultés il a été confronté  et nous nous interrogerons sur les perspectives de ce combat dans la situation actuelle marquée par des politiques d’austérité sans précédent.
Pourquoi nous avons créé une réseau européen de luttes contre le chômage, la précarité et les exclusions ?

A la suite du « plein emploi » des « Trente glorieuses », la plupart des pays européens connurent une montée inexorable du chômage : un chômage de masse et de longue durée. Le monde syndical et politique ne sut ou ne put répondre à cette situation. C’est alors qu’à la fin des années 80, l’on vit émerger des « associations » de chômeurs, soit « autonomes », soit aidées par des structures syndicales, des organisations politiques ou des églises, certaines étant déjà des composantes de l’ENU (European Network Unemployment). Ces organisations constatèrent rapidement que leurs luttes se butaient à un mur dans les cadres  nationaux, que la source du chômage était très liée aux politiques économiques de l’Union européenne et que c’était donc au niveau européen qu’il fallait poser le problème et agir.

D’où l’idée d’un appel en juin1996 à Florence (1) pour organiser des marches dans toute l’Europe vers Amsterdam en juin 1997, à l’occasion du sommet de l’Union européenne. Préfigurant ce que seraient les forums sociaux, cet appel s’adressait à toutes les organisations des mouvements sociaux.
Le résultat fut très encourageant : après deux mois de marches depuis Tanger, Sarajevo, la Finlande, la Pologne, la Grande-Bretagne etc…près de 50 000 personnes convergèrent à Amsterdam  (2). Le sommet de l’Union européenne  prendra la décision de réunir chaque année un Comité sur les questions liées à l’emploi. Le premier eût lieu au mois d’octobre suivant au Luxembourg. L’emploi était désormais inscrit au rang des objectifs de l’Union Européenne et une coordination des politiques d’emploi des Etats membres fut envisagée. A l’occasion du sommet de Luxembourg, les organisations ayant participé à la manifestation d’Amsterdam décidèrent de pérenniser  le réseau des Euromarches, en organisant notamment une première Université de printemps à Khalkidiki, près de Thessalonique en Grèce.

Le réseau vécut au rythme des mobilisations lors des sommets de l’Union européenne (Cardiff, Vienne, Lisbonne, Cologne, Nice, Bruxelles, Göteborg, Séville etc…). Le collectif belge (3)
nous apprit à lire les textes des institutions de l’Union européenne : nous furent dans les premiers à nous mobiliser contre la Charte des droits fondamentaux de l’UE proclamée à Nice en
2000. Mobilisations et capacités d’expertises constituèrent les piliers du réseau, notamment après le sommet de Lisbonne qui initia le processus conduisant à la généralisation de la précarisation des emplois dans toute l’Union européenne, renforcée à chaque élargissement de celle-ci avec les résultats que l’on connaît aujourd’hui !

Lors de cette période, un moment exceptionnel de jonction de mouvements sociaux au-delà des frontières ! Tout le monde se souvient des mobilisations de chômeurs en France fin 1997 et début 1998. Les organisations allemandes été confrontées au même chômage de masse et de longue durée sans trouver les chemins de la mobilisation. A l’initiative de la Coordination de Bielefeld et des Euromarches, les échanges entre organisations françaises et allemandes connurent un essor sans précédent, notamment lors des « Jagodatag » en Allemagne (journée mensuelle de publication des chiffres du chômage). Le mouvement se développa en Allemagne dans la foulée de celui de France. Le 8 mai de cette année 1998, nous organisions même une manifestation commune sur le Pont de l’Europe à Khel.

Autre caractéristique importante du réseau: la recherche de revendications capables d’unifier des
luttes à l’échelle européenne. Les mouvements se sont construits dans les cadres nationaux à partir de revendications communes. Quelles revendications unifiantes au niveau européen capables de fédérer les mouvements? Nous avons travaillé sur la question du revenu minimum à partir de l’expérience de la FERPA, Association des retraités de la CES animée à l’époque par Georges Debunne(4). Le moment fort en fut la conférence de Bruxelles (mars 2004) sur les droits sociaux dans l’Europe élargie et la publication d’une plaquette en plusieurs langues sur la revendication d’un revenu minimum proportionnel au PIB de chaque pays de l’Union(5). Nous devions aussi malheureusement faire le constat, que malgré tous nos efforts, nous n’avions pas pu faire bouger les lignes et que le « processus » de Lisbonne, loin de s’attaquer au chômage, généralisait comme prévu la précarité dans toute l’Europe.

Les Euromarches composante des FSE

Dans la foulée de Porto Alegre, Florence inaugura en 2002 les Forums sociaux européens. C’est tout naturellement que le réseau des Euromarches se reconnut dans cette initiative cherchant à permettre la rencontre des mouvements les plus divers sur la même « place » pour confronter les analyses et plus si affinités au niveau des mouvements sociaux. Ce fût même pour nous une priorité dans la dernière période. Nous avions créé les Euromarches parce que que nous étions conscients que nous ne ferions pas reculer le chômage à partir des seules mobilisations dans les cadres nationaux. Plusieurs années après nous avons constaté que nous n’avions pas pu faire bouger non plus les lignes dans l’Union européenne et que la casse sociale ne cessait de progresser. D’où la nécessité d’élargir le champ de mobilisation et de nous intégrer dans le processus des forums qui dissolvait quelque part notre propre visibilité, mais dans le même temps, permettait de créer des synergies plus efficaces dans les luttes. Nous n’avons jamais eu le culte de notre identité: un réseau, une organisation sont faits pour servir les mobilisations et non l’inverse…Notre « avenir » était altermondialiste dès l’origine. Et de ce fait, après Florence en 2002, nous avons participé  aux forums de Paris en 2003, Londres en 2004, Athènes en 2006, Malmö en 2008 et enfin Istanbul en 2010, souvent en lien avec d’autres réseaux contre la pauvreté comme les No Vox.

La lutte contre la directive des services dite Bolkestein (février 2006 à Strasbourg) fut un test qui permit de marquer des points mais le résultat final a montré qu’il y avait encore du chemin à faire pour connecter mouvements syndicaux et associatifs afin de créer des rapports de force suffisants au niveau européen pour faire reculer les politiques néo-libérales. D’autant plus que, de manière différente certes suivant l’histoire de chaque pays, ces mouvements sont liés aux recompositions politiques compliquées en cours comme on a pu le voir en France, Italie, Allemagne etc….
Fin des années 2010 : comme un « essouflement » des mouvements sociaux (?)

Lors de nos coordinations européennes à Cologne en 2007, nous avions déjà abordé la question du devenir du réseau et des mouvements européens. A la différence d’autres organisations, associations, syndicats, partis, nous sommes essentiellement un « réseau » sans appareil en tant que tel: ni local, ni permanent etc…Comme un centre d’initiatives à géométrie variable suivant les pays et les années. Différents d’autres réseaux comme Attac-Europe par exemple qui coordonne des organisations nationales structurées, des adhérent(e)s etc…Nous fonctionnons avec ce que les organisations les plus investies dans le réseau mettent à notre disposition selon les échéances de mobilisations.  L’échéance de Rostock 2007 nous relança dans la dynamique « mobilisations » pour les « Marches en Europe 2007 » contre le G8. Nous avons fait  un bilan en demi-teinte de cette dernière mobilisation avec les autres pays participants. Seule « nouveauté » : nous ne furent pas les seuls à nous poser la question de l’avenir du mouvement altermondialiste et de notre propre utilité.

Concernant la lutte contre le chômage et surtout la précarisation des emplois et de nos vies, nous avons continué à mutualiser ce qui se passait dans les différents pays mais nous n’avons pas encore réussi à mettre sur pieds un véritable réseau opérationnel. Les organisations de chômeurs, dans les pays où elles existent,  organisent surtout des chômeurs de longue durée qui peu à peu sont réduits aux minima sociaux et deviennent des retraités…Les syndicats sont peu ou pas du tout impliqués dans l’organisation des chômeurs, perdent leurs adhérents ne serait-ce que par l’effet générationnel et recrutent peu dans les nouvelles couches des travailleurs précaires.

Lors des forums, forces syndicales et associatives sont pourtant présentes aux rendez-vous des Euromarches, comme notamment lors des Forum social d’Athènes et du dernier en date à Istanbul. Mais peu de suites… Le niveau européen du monde syndical restait problématique parce que la CES etait devenue la courroie de transmission de l’Union européenne, au grand dam d’un de ses fondateurs, Georges Debunne qui a soutenu les Euromarches dès le début de l’aventure: des regroupements commencent à se concrétiser contre le néolibéralisme de l’Union européenne, y compris en Europe du Nord jusqu’à  présent insensible à la dimension européenne. La « mondialisation » et ses effets, l’évolution des capitalismes nationaux changent la donne: la revendication d’un salaire minimum en Allemagne n’est plus un sujet tabou parce que les capitalistes internationaux ne reconnaissent pas la « cogestion » (Bestimmung) traditionnelle dans ce pays. Concernant la précarisation des emplois dans l’Europe élargie, c’est la revendication sur le statut des travailleurs, les contrats de travail, la sécurisation des parcours professionnels qui est en jeu: c’est dire que l’on n’était pas sorti de l’auberge et l’on pouvait en conclure que l’on ne pouvait rien faire. Ce ne fut pas le cas: les lignes commençaient à bouger dans le monde syndical et l’on vit émerger de nouvelles associations et collectifs de jeunes précaires qui ne se reconnaissaient pas comme « chômeurs » mais rejoignaient les objectifs de luttes des associations existantes, voire les structures syndicales qui leur semblaient proches de leurs expériences.

Comme disait Allaluf Mateo, économiste belge, le capitalisme a gagné la bataille du 20ème siècle
remettant en cause les avancées des mouvement sociaux. Au début du 21ème nous sommes dans une phase de décomposition-recomposition, restructurations, reconstructions etc…à tous les niveaux, économiques, sociaux, culturels, syndicaux, politiques etc…Nous nous inscrivons dans des
processus de regroupements de celles et ceux qui pensent que le capitalisme néolibéral n’est pas
l’avenir de l’humanité, qu’il est même urgent pour les peuples et la planète non seulement d’inverser la tendance mais de proposer des alternatives concrètes aux impasses actuelles, particulièrement en ce qui concerne les questions sociales.
Années des crises : une nouvelle donne, de nouvelles responsabilités.

On ne peut jamais se réjouir des crises que nous subissons et nous savons que ce sont toujours les plus faibles qui payent la facture. Pour autant celles-ci ont changé la donne en Europe. Même la CES (Confédération européenne des syndicats) est aujourd’hui contre les dernières moutures des traités européens après avoir accepté le TCE et ses conséquences en 2005.

A partir de l’expérience des Forums sociaux européens et de leurs limites, certaines composantes syndicales et associatives se sont regroupées dans le cadre de la JSC (Joint Social Conference) et vont se retrouver à Florence début novembre 2012 (Firenze 10+10) en partenariat avec des réseaux politiques européens comme le réseau Transform pour converger et agir dans le but de tenir en 2013 un Altersummit, non seulement pour mutualiser des analyses, mais pour proposer des alternatives et mobiliser les peuples d’Europe pour endiguer les conséquences désastreuses des plans d’austérité actuels et du chômage qui en résulte. De ce fait, les Euromarches participent à ces regroupements.

D’autre part, les bouleversements dans les pays arabes, les mouvements d’indignés, les actions du type « occupy » etc…révèlent que les sociétés de ce début de siècle sont traversées pas des révoltes en profondeur même sil elles restent à géométrie variable suivant les pays. Un des points communs est la participation active dans ces mobilisations de jeunes « diplômés » sans perspective d’emploi.
Or ce qui les attend en Europe c’est une généralisation d’Hartz IV. On a pu le constater lors de la dernière mobilisation à Francfort des 18 et 19 mai 2012 à laquelle ont participé les Euromarches.

Au-delà des questions liées à l’emploi, nous sommes de plus en plus confrontés à la paupérisation massive des peuples au profit des quelques oligarques. Au moment où nous revendiquons un salaire minimum européen, les Euromarches font aussi campagne avec l’EAPN (octobre 2010 au Parlement européen à Bruxelles) pour des revenus adéquats permettant aux gens de vivre et non de survivre : 1/5ème de la population de l’Union européenne, particulièrement dans les pays de l’Est, vit déjà en-dessous du seuil de pauvreté et cela va encore s’amplifier dans les mois et années qui viennent alors que l’Europe demeure le continent le plus riche de la planète !

Il y va même de la disparition de la notion de « chômeur », homme ou femme ayant travaillé et cotisé à une assurance en cas de perte de son emploi. Cette assurance se transforme en « aide sociale », emplois précaires contraints, particulièrement pour les femmes. Des pays comme la Hollande parlent maintenant des chômeurs en terme « d’handicapés sociaux » que l’on ne peut aider à survivre qu’en contre-partie de travaux soit-disant « civiques ». En France, le service d’Etat chargé d’indemniser les chômeurs et de leur trouver des emplois (Pôle emploi) passe surtout son temps à les radier des listes pour les priver de tout revenu et faire baisser les « statistiques »…

Tout cela pour dire que, tant les Euromarches que les diverses composantes des mouvements sociaux et politiques doivent aujourd’hui repenser au plus vite leurs objectifs, leurs stratégies, leurs alliances pour répondre à une situation que personne n’avait prévue aussi dégradée, avec des nuages de plus en plus menaçants à l’horizon qui rappellent les années 30 comme on peut le voir en ce moment en Grèce avec la montée en puissance de l’Aube dorée, parti nazi. Mais la percée de Syriza, coalition de gauche radicale, montre aussi qu’il y a toujours de l’espoir, que le pire n’est pas inévitable.

Michel Rousseau
7/10/2012

Bibliographie, site et vidéothèque:

http://www.euromarches.org

Inutile de dire que l’on ne peut en un seul article exprimer la richesse vécue par celles et ceux qui ont participé et participent encore au réseau des Marches européennes/Euromarches. Nous avons renvoyé à quelques publications en la matière.

Vous trouverez sur le site de l’association « Canal marches » créée lors du lancement des Marches européennes, au fonctionnement autonome et indépendant, nombres de vidéos et photos des événements vécus par les Marches. Patrice Spadoni en a fait un film. Pour voir les  vidéos :  http://canalmarches.org/spip.php?rubrique3

Autres publications citées dans cet article :

  • « Europe modes d’Emploi » (page 10) Editions Syllepse Paris avril 1997
  • « Le monde nous appartient » (page 193) Christophe Aguiton Plon mars 2001
  • « Les Sentiers de la colère » coordonné par Bertrand Schmitt et Patrice Spadoni
  • L’esprit frappeur, Paris, 2000
  • Colloque “Les mobilisations altermondialistes”
  • 3-5 décembre 2003 Jean FANIEL
  • «  Le Collectif belge des Marches européennes contre le chômage,
  • la précarité et les exclusions : entre mobilisation et expertise. »

 

  • « A quand l’€urope sociale ? » Georges Debunne  Editions Syllepsse octobre 2003
  • « Les droits sociaux dans l’Europe élargie » Editions Syllepse Mai 2004 coordonnée
  • par le Bijstandsbond d’Amsterdam.

 

 

 

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